
L’histoire de Skoda aurait pu être bien différente. En 1990, Renault s’intéressait de près à la marque tchèque, qui est aujourd’hui un pilier du groupe Volkswagen.
En novembre 1989, la révolution de Velours mit un terme à des décennies de régime communiste en Tchécoslovaquie. Václav Havel, figure de l’opposition et dramaturge reconnu, fut nommé président de la République, ouvrant la voie aux premières élections libres quelques mois plus tard.
Comme dans d’autres pays d’Europe centrale, le gouvernement tchécoslovaque entreprit la privatisation des grandes entreprises nationales. Parmi elles, Skoda et son usine de Mladá Boleslav représentaient un atout de choix. La marque venait de lancer la Favorit, un modèle innovant pour l’ancien bloc de l’Est.
Renault en lice pour le rachat de Skoda
Séduit par le potentiel de Skoda, Renault envoya des équipes sur place et s’associa à Volvo pour formuler une offre de rachat. Le montant proposé s’élevait à 13 milliards de francs, soit environ 3,5 milliards d’euros en tenant compte de l’inflation. L’objectif du constructeur français était de maintenir la production de la Favorit, d’assembler la R19 Chamade et de développer un modèle économique prévu pour 1997, dont l’identité restait confidentielle.
Toutefois, ce projet s’annonçait complexe. À cette époque, Renault était encore une entreprise publique, et la reprise de Skoda aurait pu provoquer des tensions alors que la fermeture du site historique de Billancourt se profilait. Pour convaincre Prague, la France proposa d’inclure des accords pétroliers et nucléaires dans le cadre du rachat.
Face à Renault, Volkswagen adopta une stratégie différente. Son président, Carl Hahn, mit l’accent sur la confiance et la collaboration avec les employés de Skoda. Avant même la signature d’un contrat, le groupe allemand organisa des séminaires pour les cadres et des formations pour les ouvriers. Surtout, VW fit une promesse déterminante : Skoda conserverait son identité sur le long terme. Ce message fit mouche, au point que des salariés menacèrent de se mettre en grève si Renault était retenu.
Le 9 décembre 1990, le premier ministre tchécoslovaque Petr Pithart annonça que Skoda serait finalement cédé à Volkswagen. Parmi ceux qui suivirent de près cette affaire figurait Louis Schweitzer, alors directeur financier de Renault. Quelques années plus tard, Renault allait saisir une autre opportunité en Roumanie…
Skoda et Dacia : deux stratégies, deux réussites
Comparer l’évolution de Skoda et de Dacia permet de mieux comprendre les stratégies opposées adoptées par Volkswagen et Renault.
Chez Skoda, Volkswagen a modernisé l’outil industriel. Au milieu des années 1990, la productivité de l’usine de Mladá Boleslav restait perfectible (40 heures pour assembler une voiture, contre environ 20 pour les constructeurs japonais), mais les progrès furent rapides. La Felicia, lancée en 1994, intégra un moteur Volkswagen 1.6, et l’Octavia (1996) fut la première Skoda entièrement développée sur une plateforme du groupe, partagée avec la Golf IV et l’Audi A3.
Grâce à cette montée en gamme progressive, Skoda est passée d’un statut de constructeur postsocialiste à celui de marque généraliste à succès. Aujourd’hui, son modèle le plus abordable, la Fabia, démarre à 20 400 euros, tandis que les Enyaq, Superb et Kodiaq franchissent la barre des 45 000 euros.
Renault et Dacia : la naissance du low cost moderne
De son côté, Louis Schweitzer poursuivait un autre projet. Lors d’un voyage en Russie avec Jacques Chirac, il visita l’usine Lada/AvtoVAZ et constata que des modèles des années 1960 étaient toujours produits. Il eut alors l’idée d’un véhicule simple, robuste et moderne, vendu à un prix imbattable : 6 000 dollars.
Cette ambition conduisit Renault à racheter Dacia, une marque sans grande valeur à l’époque, mais qui allait devenir le porte-drapeau d’un nouveau concept automobile. La Logan, dévoilée en 2004, fut d’abord destinée au marché roumain avant d’être proposée à l’international. Son succès fut immédiat, et Renault décida de la commercialiser en France, où elle fut lancée à 7 600 euros.
Aujourd’hui, Dacia reste fidèle à son positionnement low cost avec la Sandero, modèle le plus abordable du marché français (12 990 euros), et la Spring, première citadine électrique à bas prix (16 900 euros). Mais la marque évolue : avec l’arrivée du SUV Bigster, elle attire désormais une clientèle plus large, cherchant un bon rapport qualité-prix plutôt qu’un simple prix bas.
Dacia serait-elle en train de suivre la voie de Skoda ? Affaire à suivre…